ALLER PLUS LOIN
Le département 51 où la chronique d'un département victime de son succès
Nous sommes en 1956, Paul Ramadier est ministre des finances au sein du gouvernement de Guy Mollet, sous la présidence de René Coty. Les finances publiques ne sont pas au meilleur de leur forme, l'automobile prend son essor mais à l'époque, il s'agit encore d'un produit de luxe. Vient alors la question cruciale de la garantie de pouvoir
fournir un revenu minimum aux personnes de plus de 65 ans. La solution se trouve alors dans la création d'une vignette automobile appelée Fond National de Solidarité. L'intention est louable, plus la voiture a une puissance fiscale élevée, plus l'effort de solidarité est important et la vignette est adoptée par le parlement en juin 1956 avec une application en septembre et une apparition sur les pare-brise en décembre.
Malheureusement, la bonne action se transforme rapidement en impôt. Les personnes âgées ne voient pas la couleur de cet argent et l'affaire vire rapidement à la mascarade au point que la mention 'Fond National de solidarité' disparaît dès 1959. La vignette, elle, reste pourtant bien en place et va devenir un véritable cheval de bataille durant près de cinquante ans.
Véritable impôt automobile, elle devient la plaie des ménages qui a le don de devoir être renouvelée chaque année au mois de novembre, juste avant Noël. Certificat à glisser dans le portefeuille entre 1956 et 1972, collée au pare-brise et de forme ronde entre 1972 et 1974, puis de forme hexagonale entre 1975 et 1985, à nouveau ronde entre 1986 et 1999 pour enfin de devenir rectangulaire en 2000 et 2001, elle change de couleur
chaque année et disparaît pour les particuliers en 2000 et, pour les véhicules de société, elle disparaît du pare-brise en 2001 et définitivement fin 2005.
La subtilité va naître progressivement à partir de 1984 avec la décentralisation, chaque département devient le garant de la prise en charge de cet impôt et c'est ainsi qu'un grand fossé national va progressivement se creuser. Lorsque le Cantal facture 604 francs (92 euros) une vignette pour un véhicule de moins de cinq ans dont la puissance fiscale est comprise entre 5 et 7 CV, le département de la Marne facture 278 francs.
Pourquoi un tel écart ? Nous l'avons dit, chaque département applique sa politique tarifaire librement et dans la Marne, le Président du Conseil Général Albert Vecten, trouve vignette complètement injuste. A l'origine, il souhaite faire supprimer la vignette mais, n'y arrivant pas, il va donc, à partir de 1988, réduire la facture au minimum pour les habitants de son département. Seulement voilà, le prix de la vignette dans la Marne n'est pas un secret d'état et la presse chaque année,
publie le barême complet département par département et pour chaque tranche fiscale en fonction de l'âge du véhicule, la liste complète des tarifs pratiqués...
Le cas Dentressangle
C'est ainsi qu'en 1994, le transporteur Norbert Dentressangle découvre l'astuce et contacte Albert Vecten. Son idée est simple, il transfère le siège social de son entreprise, l'une des plus grosses flottes de poids lourds et ensembles routiers vers le département de la Marne. L'affaire est juteuse, il y a plus d'un millier de cartes grises, l'économie pour l'entreprise est très loin d'être négligeable
et le département encaisse les recettes de la vignette. Si ce n'est pas du gagnant-gagnant, cela s'y apparente et c'est en tout cas le 'moins-perdant' pour le groupe Dentressangle. En quelques mois, l'affaire commence à se faire entendre et c'est ainsi que les loueurs de véhicules entrent dans la danse...

Quelques vignettes et talons de vignettes des années 90/2000 (c) Olivier Riera - Collection personnelle
Les loueurs explosent les scores
Ils s'appellent Hertz, Europcar ou Avis, leurs flottes représentent des milliers de véhicules renouvelés régulièrement. L'astuce de la 'plaque 51' devient vite un levier d'économie colossal, peut-être trop. La préfecture de la Marne qui gérait un flux modeste d'immatriculations quotidiennes, croule sous les demandes de cartes grises et immatricule à partir de 1995 quatre à cinq fois plus de véhicules chaque année qu'au début des années 90. Au grand jeu du 'D'où vient la voiture devant nous ?', ceux qui ont connus les années 90,
se sont vite demandés d'où venaient tous ces véhicules dispersés aux quatre coins de la France imatriculés en 51. En clair, la recette explose et la Marne, en trois ans, gagne 80 millions de francs supplémentaires qui sont les bienvenus certes, mais qui sont aussi très mal vus par les élus des départements voisins qui voient d'un mauvais oeil cette évasion fiscale franco-française. En juin 1998, l'Assemblée Nationale et le ministre de l'économie et de finances Dominique Strauss-Kahn sifflent la fin de la récré en votant la loi DDOEF (Diverses Dispositions d'Ordre Economique et Financier).
En substance, celle-ci indique que les entreprises sont contraintes d'immatriculer leurs véhicules dans le lieu où ils se trouvent réellement ce qui signifie qu'un siège social dans la Marne ou une boîte aux lettres ne suffisent plus pour prétendre à une carte grise dans un département comme la Marne.
Pour autant, si le phénomène se calme un peu, la fête est loin d'être terminée. En effet, la vignette perdure pour les particuliers jusqu'au 31 août 2000 lorsque Laurent Fabius, ministre de l'économie du gouvernement Jospin annonce sa suppression (les départements percevant alors une dotation de la part de l'état en compensation) mais, pour les véhicules professionnels, elle existe toujours et se nomme désormais 'taxe différentielle sur les véhicules à moteur'. Elle se présente toujours de manière adhésive sur le pare-brise jusqu'au 9 octobre 2001 (de couleur verte), et en papier jusqu'au 1er mars 2005.
Si la Marne ne se fait plus vraiment remarquer depuis l'épisode 1995-1998, deux départements deviennent alors la coqueluche des loueurs : la Seine-Maritime (76) et l'Oise (60). Ces derniers choisissent, respectivement en 2002 et 2003, de rendre la vignette gratuite pour tous les véhicules,
ce qui va avoir pour effet de créer un appel d'air et 14 sociétés de location vont alors s'implanter autour de Rouen à partir de la fin 2001 faisant passer le département de près de 38.000 véhicules neufs à près de 106.000 immatriculés à l'année. L'Oise aspire aussi les loueurs et profite directement de sa proximité avec la région Ile-de-France. C'est donc ainsi que les plaques 76 et 60 ont naturellement succedé aux 51 devenu l'enfant puni de la vignette. A compter de 2006, le principe de vignette disparaît définitivement et seul le prix du cheval fiscal sur les cartes grises, permet de différencier
les départements et l'Oise et la Seine-Maritime conservent leur attractivité. Même après l'instauration du SIV et la liberté de choix du département sur les plaques, les 76 et 60 (et le 01 aussi) restent comme la chasse gardée des loueurs...
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12-07-2021 | ZZ / AAA - Les passages de 2 à 3 lettres | FNI | |
14-07-2021 | Les passages de 999 à 9999 numéros | FNI | |
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